Au-delà des mesures phares de la loi Alur, une discrète disposition, introduite par amendement, pourrait bien révolutionner le contentieux des documents d’urbanisme : l’article L.600-9 du Code de l’urbanisme.
Le nouvel article L.600-9 du Code de l’urbanisme, issu de la loi n° 2014-366 de la loi Alur, permet au juge de donner une « deuxième chance » aux documents d’urbanisme attaqués devant lui et entachés d’illégalité : en effet, plutôt que de prononcer l’annulation du document d’urbanisme, le juge peut demander à l’auteur de l’acte de régulariser le vice constaté, sous un certain délai. Dans le droit fil des récentes réformes du contentieux de l’urbanisme, cette innovation est la transposition, pour les documents d’urbanisme, d’un mécanisme identique pour les permis de construire, introduit par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 et codifié à l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme (1).
L’invitation à régulariser
Selon l’article L.600-9 du Code de l’urbanisme, si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un schéma de cohérence territoriale (Scot), un plan local d’urbanisme (PLU) ou une carte communale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la révision de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Ainsi, le juge change de rôle : son pouvoir d’annulation évolue vers une faculté de « guérison » des documents d’urbanisme, qu’il sera libre d’utiliser.
Le juge change de rôle : son pouvoir d’annulation évolue vers une faculté de « guérison » des documents d’urbanisme, dont il sera libre de faire usage.
Pendant la période de suspension, le document d’urbanisme reste applicable, dans toutes ses dispositions, y compris celles, irrégulières, que le juge a invité à régulariser… De plus, il s’agira d’une simple invitation à régulariser, mais non d’une obligation, sauf pour le juge à faire usage de ses pouvoirs d’injonction. Et si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui appréciera la légalité du document d’urbanisme au regard de la régularisation apportée.
Un pouvoir strictement encadré
Cette disposition ne s’applique limitativement qu’à trois documents d’urbanisme : le PLU, le Scot et la carte communale. Plus encore, son application est limitée aux seules illégalités affectant « l’élaboration ou la révision » de ces documents : elle ne concerne donc a priori pas les autres procédures d’évolution (modification ou mise en compatibilité notamment).
En principe, tous les types d’illégalités, de forme et de fond, sont susceptibles de donner lieu à régularisation par le biais de cet article, sous réserve des restrictions expressément prévues par ce texte.
La régularisation des vices de forme ou de procédure
La régularisation des vices de procédure est possible sous la réserve suivante : pour les PLU et les Scot (2), l’illégalité ne doit pas avoir été commise trop en amont dans la procédure, puisque seuls sont régularisables les vices de procédure chronologiquement intervenus après la tenue du débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durable (PADD). Concrètement, resteront « non régularisables » les toutes premières étapes de la procédure d’élaboration ou de révision du PLU ou du Scot : délibération prescrivant le lancement de la procédure d’élaboration ou de révision, définition des objectifs poursuivis, mise en œuvre de la concertation, etc.
Dans cette procédure de sursis à statuer, il n’est pas question de reprendre toute la procédure d’élaboration « à zéro », impliquant un délai de régularisation trop long. En revanche, toute étape de la procédure postérieure au débat sur le PADD sera régularisable : arrêt du projet de PLU, bilan de la concertation, ouverture et déroulement de l’enquête publique, conclusions du commissaire-enquêteur, approbation finale du PLU avec ou sans modifications…
En pratique, la régularisation d’un vice de procédure sur invitation du juge pourrait impliquer de reprendre formellement la procédure depuis le stade du vice de procédure à régulariser, et de la mener une nouvelle fois jusqu’à son terme.
"Cette procédure de sursis à statuer ne doit pas conduire à altérer de manière trop conséquente l’économie générale du document d’urbanisme."
Les autres vices
Pour les vices autres que de forme ou de procédure (ce qui concernera par prédilection les vices concernant le zonage et les servitudes d’urbanisme instaurées), le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l’illégalité est susceptible d’être régularisée par une procédure de modification.
On comprend par là que cette procédure de sursis à statuer ne doit pas conduire à altérer de manière trop conséquente l’économie générale du document d’urbanisme. Ainsi, l’évolution à apporter au document d’urbanisme, pour qu’il devienne régulier, doit pouvoir s’inscrire dans le champ d’application d’une procédure de modification.
Plus précisément, c’est la régularisation elle-même qui, formellement, devra passer par la mise en œuvre d’une procédure de modification, voire de modification simplifiée.
En clair, la régularisation « L.600-9 » ne pourra conduire :
- ni à changer les orientations du PADD ;
- ni à réduire une protection édictée en raison des risques de nuisance, de la qualité des sites, des paysages ou des milieux naturels ;
- ni surtout à réduire un espace boisé classé, une zone agricole ou une zone naturelle et forestière.
En effet, de telles évolutions ne peuvent passer que par la révision du PLU, et non par une simple modification (art. L.123-13 du Code de l’urbanisme). On voit donc déjà que, par exemple, dans le cas d’un particulier contestant, à juste titre, le classement de sa propriété en zone naturelle ou agricole, ou en EBC, il ne serait pas possible de régulariser un tel vice par le biais des dispositions de l’article L.600-9…
La régularisation d’un ou plusieurs vice(s) ?
Une question essentielle devra être tranchée par la jurisprudence : l’invitation à régulariser au titre de l’article L.600-9 du Code de l’urbanisme permet-elle de régulariser un seul vice, ou plusieurs ? La lecture stricte de ce texte fait mention de la régularisation d’une illégalité, au singulier. Une formulation analogue figure à l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme, en matière de permis de construire, et certaines juridictions ont déjà admis la régularisation simultanée de plusieurs vices (3).
Notre sentiment est, qu’à terme, le juge s’affranchira de la lettre du texte, pour admettre la régularisation simultanée de plusieurs illégalités.
"Le nouvel article prolonge ce principe d’annulation partielle, par une forme de « divisibilité » des documents composant le PLU."
Une entrée en vigueur immédiate
La loi Alur ne contient aucune disposition précisant les modalités d’application de l’article L.600-9 du Code de l’urbanisme aux instances juridictionnelles en cours à la date de son entrée en vigueur (4).
Cependant, comme le Conseil d’État (5) en a jugé concernant le mécanisme similaire de l’article L.600-5-1, il fait peu de doute qu’il s’agit, ici aussi, de règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif, et qui sont, en l’absence de dispositions expresses contraires, d’application immédiate aux instances en cours, et donc applicables aux PLU approuvés avant la loi Alur du 24 mars 2014.
De plus, cette possibilité de régularisation pourrait être mise en œuvre pour la première fois en appel, et cela même si le tribunal, en première instance, a prononcé l’annulation du PLU : la cour administrative d’appel peut en effet considérer que le vice ayant justifié l’annulation du PLU en première instance est régularisable et mettre en œuvre l’article L.600-9.
La consécration de l’annulation partielle
De longue date, lorsque seules des dispositions divisibles d’un PLU sont entachées d’illégalité (par exemple une zone particulière, ou un emplacement réservé), le juge administratif se limite à une annulation partielle du plan, en tant qu’il prévoit telle ou telle servitude d’urbanisme irrégulière, le surplus du PLU échappant à l’annulation (6).
Le nouvel article L.600-9 du Code de l’urbanisme prolonge ce principe d’annulation partielle, par une forme de « divisibilité » des documents composant le PLU. Si un plan de secteur (couvrant l’intégralité du territoire d’une ou plusieurs communes membres de l’EPCI compétent en matière de PLU), ou le programme d’orientations et d’actions du PLU, ou bien encore les dispositions relatives à l’habitat ou aux transports et déplacements des orientations d’aménagement et de programmation, est entaché d’illégalité, seul le document illégal sera annulé, sans préjudice pour le reste des documents du PLU.
Note